À condition que nous nous placions au plus bas niveau, le temps signifie le climat (quel temps demain ?) - L’alternance de la pluie et de l’ensoleillement. Mais, vu que les manifestations atmosphériques sont cycliques (tel le temps des saisons, ainsi l’hiver revient), elles n’appartiennent pas vraiment au temps, - qui apporte toujours avec lui de la nouveauté (la linéarité et non pas le retour au même).
Quittons au plus vite ce moment pour reconnaître l’une des propriétés majeures du temps, son insaisissabilité. Alors que l’espace est étalé devant nous, le temps nous échappe.
On croit pouvoir l’appréhender et même l’enclore en des chiffres mais on ne le saisit pas vraiment ; on ne peut s’emparer que des limites (le commencement et la fin) entre lesquelles il circule. Si je dis que j’ai couru un 100 mètres en 20 secondes, je donne les dimensions de l’intervalle, sans savoir ce qui se passe entre les deux extrémités.
Autre preuve de son évanescence, le présent se transforme aussitôt en passé (ce qui est devient ce qui a été) en même temps que l’avenir s’infiltre en lui (il pointe déjà vers un but, un futur). Bref, il fuit l’analyse, la décomposition. Le temps n’appartient pas pour autant à l’irréel - mais à l’invisible et aussi à l’ubiquitaire.
« Ô temps, suspends ton vol », le poète l’a compris, le temps équivaut au changement, mais il se trompe quand il lui demande d’arrêter son vol, alors qu’il emporte tout avec lui. Ainsi, il va jusqu’à murir le fruit, mais, comme il poursuit sa course, il en précipitera bientôt le pourrissement (la décomposition). Sur son passage, il suscite la vie et ensuite la mort. On le célèbre (ainsi l’homme politique promet le changement pour être élu) mais on le redoute aussi (il reprend ce qu’il nous a donné). Ne l’oublions pas : « Tout passe, tout lasse, tout casse ! ».
En présence d’une telle ambivalence, l’homme se conduit mal, en général : il cède à la nostalgie (il déplore un passé lointain qui ne peut pas ressusciter, c’était le « bon vieux temps ») ou alors il donne dans l’utopie (il croit en un avenir idyllique, « demain, on rasera gratis »). Mais la culture va partir en guerre contre ces abandons - elle va tenter d’amoindrir le règne du temps.
Ainsi, le musée conservateur soustrait les oeuvres d’art au quotidien, de même pour les objets insolites ou les monuments qui ornent les places de la cité. Il importe d’immobiliser contre le temps qui use) ce qui a marqué la civilisation ; on se souviendra. Nous le reconnaissons, la victoire n’est pas assurée. À la longue, nous nous habituerons tellement à voir les mêmes statues que nous finissons par ne plus les apercevoir. Elles tombent dans l’oubli, le temps efface tout.
Les organisateurs du Musée réagissent. Ainsi, ils n’hésitent pas, pour éviter la dangereuse lassitude, à remplacer les oeuvres, qu’ils vont déposer à la réserve, par d’autres , moins connues, qui participeront au renouveau et à la modernisation de l’Institution. Chemin faisant, nous apprécions l’art de Christo qui englobe d’un immense voile un pont ou la place entière d’une ville ; il dévoilera ce qu’il aura soustrait à nos regards. L’artiste nous sensibilise à ce que nous perdions de vue (la monotonie, la répétition qui anesthésie).
Autre stratège à l’encontre du temps, le visiteur ou le touriste photographie tout ce qu’il voit. Ce qu’il saisit le soustrait à l’oubli (le fossoyeur).
Nous comptons sur l’art pour nous sauver, pour amoindrir les effets destructeurs du temps et imposer des îlots de résistance. Ainsi, Buren multiplie partout les « rayures » colorées, afin de nous réveiller et permettre l’accrochage du regardant.
Qui l’emportera ? Toujours est-il que le temps, - en raison de son ubiquité - correspond à un opérateur spirituel. Le devenir de l’être est assuré par le temps : celui-ci lui accorde la possibilité de s’accomplir (on vient à bout de tout avec la persévérance, aptitude temporelle s’il en est).
Mais les pierres les plus dures se délitent tôt ou tard, les livres se détériorent dès qu’on les consulte, le papier lui-même jaunit. Il ne restera rien de ce que la culture a pu accumuler. Mais notre exposé se doit de reconnaître, à la fin, que si le temps n’opérait pas et laissait tout subsister, nous vivrions dans la suffocation. L’homme se plaint de devoir mourir, mais, par lui-même, il laisse la place aux générations. Est rendue possible la circulation des êtres.
La mort, avec sa faux, coupe et nettoie. Il suffira que soit assurée la transmission des savoirs - car il ne faut pas recommencer ce qui a été acquis définitivement. Finalement, nous devons bénir le temps : par ses deux côtés – le positif et le négatif - il travaille à un monde meilleur et ouvert.
François Dagognet, avril 2008
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